Les figures de Napoléon, une image multiple

Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul, déjà, par maint endroit,
Le front de l’empereur brisait le masque étroit.

Victor Hugo (1802-1885), Les feuilles d’Automne, 1831

Les vers de Victor Hugo résument bien l’évolution de l’image officielle de Napoléon Bonaparte du Consulat à l’Empire. On passe de la figure émaciée et fougueuse du général d’Arcole à celle de l’empereur utilisant tous les symboles historiques du pouvoir depuis Rome dans une propagande par les arts : le portrait de Lille arbore les aigles, la couronne de laurier, et la pourpre impériale romaine. Y est joint le trône, la main de justice et l’hermine, regalia des rois de France. Touches personnelles, l’Empereur porte la grand-croix de la Légion d’Honneur, ordre qu’il a lui-même créé, en remplacement des ordres de chevalerie monarchiques. Enfin, son manteau porte les abeilles d’or inspirées de celles retrouvées dans la tombe de Childéric Ier (vers 440-481), fondateur de la dynastie mérovingienne et qui se substituent habilement aux fleurs de lys.

De nombreux œuvres joueront sur ces symboles (Napoléon Ier en législateur par Antoine-Denis Chaudet) : la représentation des chasses impériale par exemple qui associe une activité éminemment royale en l’associant avec l’usage d’un fusil très roturier (Chasse de l’empereur Napoléon Ier au bois de Boulogne de Charles Horace Vernet.).

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Paul Delaroche, Bonaparte franchissant les Alpes en 1800, 1848, huile sur toile, Paris, musée du Louvre© RMN – Grand Palais – Franck Raux

Avec le temps, la figure de l’empereur prendra ses propres codes : manteau gris, bicorne, main sur l’estomac, que Paul Delaroche utilisera anachroniquement pour représenter en 1840 le passage du col du Grand Saint Bernard, épisode devenu légendaire de la seconde campagne d’Italie du 1er consul.

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James Gillray, The plum pudding in danger, 1805, Eau forte en coloris d’époque, département du Pas-de-Calais

Evidemment, ces portraits excitent la verve des caricaturistes anglais qui soulignent le contraste entre le personnage réel et l’importance qu’il prétend se donner, mais plus d’un siècle plus tard, en France, les codes identifiant l’empereur seront utilisés pour ridiculiser l’Empereur de Prusse Guillaume II (1859-1941) qui prétends se hisser à la hauteur de Napoléon.

A côté de ces images de l’homme d’Etat, fleurissent aussi des représentations plus modestes démontrant la proximité de l’empereur avec le peuple et avec ses soldats. Il s’agit de montrer que sous la pourpre impériale, Napoléon n’a pas oublié Bonaparte et incarne encore certain des idéaux égalitaires de la Révolution : c’est par exemple l’ancien « petit caporal » goutant la soupe des troupes.
Enfin, après sa mort, le masque mortuaire de l’empereur déchu, partie prenante de la légende sera copié et conservé comme la relique d’un saint.

Texte: Philippe Gayot / ACMHDF